Les événements qui suivent se sont
produits l'année dernière, au début du mois de décembre, tandis que je
me rendais au Luc, commune de Saint-Martin-de-Sanzay. Je vais les
retranscrire au mieux, tels qu'ils se sont déroulés, du moins tels
qu'ils me sont apparus.
***
"Vous prendrez à droite au croisement", dit-elle avant de poursuivre son histoire. Nous avions déjà traversé Le Luc et nous étions au beau milieu de la lande qui descend vers le Thouet. L'endroit m'était peu connu et, l'obscurité aidant, j'avais du mal à m'y repérer. Je devais lui faire confiance comme elle me faisait confiance, du moins je commençais à le croire vu qu'elle parlait désormais sans s'arrêter, c'est à peine si je réussissais à l'interrompre pour lui demander une précision, un détail, une explication.
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Une croix romaine à proximité du Luc |
Le temps des fées prit fin, dit-elle, quand vint l'ère chrétienne, son absolutisme et ses désirs toujours plus grands d'hégémonie (elle joignit les mains et leva ironiquement les yeux au ciel). Cette religion ne laissait pas de place aux cultes païens. Les druides et les fées devinrent sorciers et sorcières. Ils étaient au mieux à honnir, au pire à mettre au bûcher. Ce fut une période noire, l'homme qui était déjà séparé de la Nature consomma définitivement la rupture, elle fut radicale : la terre et le ciel, l'âme et le corps distincts. Plus rien ne comptait que l'âme, la seule qui vaille, la seule qui pouvait sauver les hommes, le corps était vil, maléfique, livré à la concupiscence et au Prince du monde. Le malade ne se soignait plus avec les potions et les onguents d'antan, on préférait l'envoyer voir le curé et plaise à Dieu qu'il guérisse, ou non. C'était un monde triste, un monde absurde, pourtant des siècles de propagande réussirent à tourner l'esprit des hommes, ils abandonnèrent la bonne fée et se mirent à craindre plus que jamais la malfaisante Dame blanche. Sa seule apparition les effrayait tant qu'on organisait dès le lendemain des battues, la torche et le goupillon à la main.
Comme je l'ai promis, je dois reproduire fidèlement le récit de ma passagère quand bien même je ne partage pas ses opinions. Ainsi, un autre drame survint selon elle : la philosophie des Lumières et son rationalisme. Elle y voyait une régression, les hommes écartant comme fadaises tout ce que la raison ne pouvait expliquer. "Des esprits rabougris", ajouta-t-elle. L'expression me heurta quelque peu.
Ci-contre, extrait de L’Encyclopédie de D'Alembert et Diderot, article FANTÔME :
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Ci-contre, extrait de L’Encyclopédie de D'Alembert et Diderot, article FANTÔME :
"On a appliqué le mot de fantôme à toutes les idées fausses qui nous impriment de la frayeur, du respect, &c. qui nous tourmentent, & qui font le malheur de notre vie : c’est la mauvaise éducation qui produit ces fantômes, c’est l’expérience & la philosophie qui les dissipent."
Un autre danger, plus sournois, allait bientôt s'abattre sur la Dame blanche et nuire encore davantage à sa réputation : l'avidité des hommes.
A suivre demain,
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