vendredi 17 avril 2015

Façades - épisode 3

  - Une nouvelle aventure du citoyen lambda -


 Plan de la zone de protection
du patrimoine de Thouars -
On n'a encore jamais vu le citoyen lambda avec une mine si déconfite, les traits tirés par la fatigue et la déception. Incroyable... c'est normal, marmonne-t-il entre ses dents, lesquelles sont encore serrées par la colère. C'est normal... Tout est fait dans les règles, jusque dans les détails : Monsieur Charré a pris soin de ne pas faire l'exposé sur sa propre subvention pour éviter le conflit d'intérêt - habituellement c'est lui qui s'en occupe, vu qu'il est adjoint chargé de l'urbanisme. Même sa maison qui n'était pas éligible à la subvention l'est devenue en septembre dernier, à point nommé. En effet, avant septembre, seuls les bâtiments dits "remarquables" étaient retenus ; depuis septembre tous les bâtiments de la Zone de protection du patrimoine rentrent dans le dispositif. "C'est normal... grommelle-t-il, ils raflent la moitié des subventions, et c'est normal... Pourtant ce n'est pas normal.
- Les choses sont bien faites pour les élus, rétorque la citoyenne lambda, sa femme.
- Une belle bande de pourris, oui ! 
- Pfff..., souffle Mathilde.
Le citoyen lambda toise sa fille d'un regard mauvais. Elle hésite, plonger le nez dans sa soupe ou tenir tête à son père. Elle réfléchit... elle a quatorze ans, il est bien temps. Elle repose sa cuillère et dit :
- Moi je trouve que c'est populiste ce que tu dis. Ce n'est pas de la faute de untel ou untel, ils n'ont rien fait d'illégal. Tu ne peux pas dire que ce sont des pourris.

Le père en reste coi, il pense à lever une main menaçante, finalement se ravise, maugrée et dit :
- D'abord, jeune fille, enlève tes coudes de la table. Deuxio, tu ne m'ôteras pas de l'idée que la moitié des aides qui filent aux élus alors qu'on est 10 000 dans cette ville, c'est un tableau pas bien reluisant.
- T'as raison, papa, mais ce n'est pas de leur faute.
- Bah alors c'est la faute de qui ? C'est quand même pas la mienne ?
- Non plus, papa, c'est la faute de l'organisation du pouvoir. En déléguant nos pouvoirs à une poignée d'élus - c'est comme ça que fonctionne notre République, je l'ai appris à l'école - les élus en question sont au courant de toutes les décisions facilement, avant les autres, et mieux que les autres. Du coup ils sont les premiers à pouvoir en bénéficier. Et ils en profitent.
- C'est très juste ce que tu dis, Mathilde, ajoute sa mère. Comme l'ensemble du fonds Façades est limité à 9000 €, les premiers arrivés sont les premiers servis et ceux qui arrivent trop tard n'auront rien. Sur ce point les élus jouissent d'un privilège sur les autres citoyens.
- Ouais, c'est une concession au principe de la démocratie, je trouve.
- C'est surtout dégueulasse, renchérit le père.
- Oh ! Papa ! rétorque Léa en joie, t'as dit un gros mot !
- Ah bah tu vois, dit ce dernier à Mathilde, maintenant tu déteins sur ta sœur. Mais qu'est ce qui nous a donné des filles si...
Le citoyen Lambda regarde sa femme qui en retour plisse les yeux doucement :
- si pertinentes, conclut-elle.
Tout le monde sourit.

Entre deux gorgées sonores de soupe, le père réfléchit, cherche une belle conclusion à cette histoire :
- En réalité, ce n'est pas un problème de façades, ce sont les fondations même de la politique qui sont pourries, et un simple ravalement n'y changera rien.

Tout le monde acquiesce, même Léa qui pourtant n'y comprend rien encore.


* FIN *


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