vendredi 14 juin 2013

L'homme de Thouars

Il s'appelle Maxime, il n'a pas dix ans. Maxime est un homme de Néanderthal, comme on dit. Néanderthal ? Ça les ferait bien rire de savoir qu'on les appelle ainsi aujourd'hui, eux qui n'ont jamais connu que Thouars et ses environs.

A cinq ans déjà, Maxime s'esquintait les doigts à cogner des silex pour imiter son père. Chaque fois qu'un outil était devenu trop usé ou cassé, il le récupérait et s'essayait à lui redonner vie. Alors, quand son père lui a annoncé qu'il l'emmenait avec lui pour fabriquer les outils dont la maisonnée avait besoin, il a bondi de joie et de fierté. Depuis le temps qu'il en rêvait... enfin il devenait grand.

Maxime et sa famille vivent dans une petite communauté installée à Saint Varent. Régulièrement ils se rendent à Louzy où se trouve la plus importante carrière de silex qu'on connaisse à deux jours de marche à la ronde. Ici il n'y a pas besoin de creuser, les silex affleurent par milliers sur plusieurs hectares et ils sont de bonne qualité. La carrière est à ce point réputée que d'autres sont déjà là, venus de Oiron, et de Saint Martin de Sanzay.


Maxime passe la première matinée à regarder son père travailler, il admire ses mouvements amples et sûrs, apparemment aussi simples qu'un coup de marteau de nos jours. Mais il faut avoir vu un forgeron frapper le fer, il faut avoir entendu le son clair du marteau, et il faut s'y être essayé en vain pour comprendre que le geste du forgeron est un art qui ne s'acquiert qu'avec l'expérience. Maxime mettra des années avant de maîtriser la technique de taille des silex, choisir la bonne pierre, préparer le nucléus, en dégager des éclats au percuteur de grès, retailler les arêtes avec un os de cerf, chaque étape ne laissant aucun droit à l'erreur.

racloir, 5cm.
A la fin de la journée, il a enfin dans ses mains un outil qui lui plaît, un petit racloir qui se cale bien entre les doigts. il s'imagine déjà gratter des os avec, tanner des peaux, rogner l'écorce des branches pour préparer des flèches. Il s'empresse donc d'aller montrer son travail à son père, lequel est malheureusement en train de discuter avec Anatole, un gars de Thouars venu en voisin. Alors Maxime attend sagement que les adultes aient terminé leur conversation.   

On ne s'est pas vu depuis des mois ou des années, on se raconte les nouvelles ; Lucien, le père de Maxime, apprend que Brigitte et Anthelme n'ont pas survécu à l'hiver, une pneumonie les a emportés. On baisse les yeux, on ne pleure pas, on se contente de maudire ces hivers trop rudes. Celui-ci était pire que le précédent qui avait été pourtant des plus mauvais. On ne parle pas de refroidissement climatique, encore moins de l'ère glaciaire qui envahit l'Europe, ils n'en savent rien, ils ne savent pas que leur espèce est en danger et disparaîtra bientôt car il faudra encore 10 000 ans pour ce faire, mais ils sentent bien que ça ne va pas dans le bon sens. S'ils n'en ont pas conscience, ils en ont déjà l'intuition, il faudra un jour partir vers le Sud, là d'où viennent les vents chauds.

Comme tout bon thouarsais qui sait tout sur tout, Anatole s'empresse d'ajouter qu'il vaut mieux éviter d'aller au Sud-Ouest : "Là-bas, c'est Bressuire, dit-il, il y fait encore plus froid qu'à Thouars, et il pleut tout le temps. Ceux qui s'y sont risqués n'en sont jamais revenus, mieux vaut piquer plein Sud". Puis, constatant qu'ils sont maintenant une petite dizaine à discuter, Anatole en profite pour leur faire part d'une idée qu'il a eue. Le thouarsais voudrait que toutes les communautés se fédèrent pour fabriquer une communauté de communautés. "Ensemble on serait plus fort, argumente-t-il, et on pourrait mener des projets structurants et solidaires dans le respect des intérêts de chacun". Lucien y entend aussitôt les échos d'un discours politique, ce qui ne l'étonne guère, ils sont comme ça les thouarsais, toujours à faire de la politique, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on se méfie d'eux. "Et pour quoi faire une com'com ?" demande un gars de Oiron. "Bah, je ne sais pas, répond Anatole, on pourrait construire une piscine". Tout le monde éclate de rire. Une piscine... Sont cons ces thouarsais !

Lucien aperçoit alors son fils qui trépigne d'impatience à côté de lui, tenant dans ses mains son tout premier outil. Lucien s'en saisit, teste le tranchant sur son poignée, il hoche la tête puis pose affectueusement sa main sur la tête de Maxime. Il n'a rien dit mais Maxime a compris dans le regard approbateur de son père qu'il était fier de lui. Il repart aussitôt, son chef d’œuvre en main et le sourire aux lèvres, tailler de nouvelles pièces.
 
les arêtes sont toute émoussées par l'usure.

Maxime utilisera tant son racloir qu'il l'usera jusqu'à la corde, et, un jour qu'il sera de nouveau à la carrière de louzy, il l'abandonnera parmi tous les autres éclats qui jonchent le sol. 40 000 ans plus tard, au même endroit, un homo sapiens passant par là ramasse un morceau de silex et s'écrit dans un éclair qu'il croit de génie : "Ah mais comment il est trop bizarre ce caillou!". Après l'avoir nettoyé, il s'interrogera sur ce qu'avait pu être cet outil, à quoi et à qui avait-il pu servir. C'est alors qu'il en imaginera l'histoire.      


***


petit racloir, 3,5cm
burin, 6,5cm


Le site en question a fait l'objet de ramassages et de fouilles archéologiques dans les années 70. A l'époque, ils ont collecté environ deux mille pièces et, vu l'étendue du site, on peut estimer qu'il en reste encore au moins autant, voire quelques milliers de plus. Chaque année les labours font remonter à la surface des outils comme ceux présentés ici. Évidemment il ne serait pas raisonnable de dévoiler le lieu exact de la carrière ; seuls ceux qui savent savent, et c'est déjà bien suffisant. On retiendra donc que c'est quelque part du côté de Louzy, ou peut-être ailleurs...



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