mardi 16 octobre 2012

La onzième nouvelle de L'Heptaméron

fac-similé de l'édition de 1880
L'Heptaméron est un célèbre recueil de nouvelles du XVIème siècle écrit par Marguerite de Navarrre, éminente femme de lettres, grande sœur de François Ier, et reine de Navarre. L'Heptaméron comporte 72 nouvelles, la onzième se déroule à Thouars au couvent des Cordeliers. Le texte qui suit est conforme à la première édition de 1558, c'est-à-dire dans la langue de l'époque. Mais pour faciliter la lecture et afin d'éviter quelques faux sens, j'ai tout de même placé des équivalences entre crochets. Quant au propos de cette nouvelle, il est tout à fait savoureux, si l'on peut dire.

       En la maison de madame de la Trimoïlle, y avoit une dame nommée Roncex, laquelle, ung jour que sa maistresse estoit allée aux Cordeliers de Thouars, eut une grande necessité d'aller au lieu où on ne peult envoyer sa chamberiere [femme de chambre]. Et appella avecq elle une fille, nommée La Mothe, pour luy tenir compaignye; mais, pour [pour cause de] estre honteuse et secrette, laissa ladite Mothe en la chambre, et entra toute seulle en un retraict [les latrines] assez obscur, lequel estoit commung à tous les Cordeliers, qui avoient si bien randu compte en ce lieu de toutes leurs viandes, que tout le retraict, l'anneau et la place et tout ce qui estoit estoient tout couvert de moust de Bacchus et de la deesse Cerès, passé par le ventre des Cordeliers. 
     Ceste pauvre femme, qui estoit si pressé, que à peyne eut-elle le loisir de lever sa robbe pour se mectre sur l'anneau, de fortune [par malheur], s'alla asseoir sur le plus ord et salle endroict qui fust en tout le retraict. Où elle se trouva prinse mieulx que à la gluz, et toutes ses pauvres fesses, habillemens et piedz si merveilleusement gastez, qu'elle n'osoit marcher ne se tourner de nul cousté, de paour d'avoir encores pis. Dont elle se print à crier tant qu'il luy fut possible: "La Mothe, m'amye, je suis perdue et deshonorée!" 
     La pauvre fille, qui avoit oy autresfois faire des comptes de la malice des Cordeliers, soupsonnant que quelques ungs fussent cachez là dedans, qui la voulsissent prendre par force, courut tant qu'elle peut, disant à tous ceulx qu'elle trouvoit: "Venez secourir madame de Roncex, que les Cordeliers veullent prendre par force en ce retraict." Lesquelz y coururent en grande diligence; et trouverent la pauvre dame de Roncex, qui cryoit à l'ayde, desirant avoir quelque femme qui la peust nectoier. Et avoit le derriere tout descouvert, craingnant en approcher ses habillemens, de paour de les gaster. 
     A ce cry-là, entrerent les gentilz hommes, qui veirent ce beau spectacle, et ne trouverent autre Cordelier qui la tormentast, sinon l'ordure dont elle avoit toutes les fesses engluées. Qui ne fut pas sans rire de leur costé, ni sans grande honte du cousté d'elle; car, en lieu d'avoir des femmes pour la nectoier, fut servie d'hommes qui la veirent nue, au pire estat que une femme se porroit monstrer. Parquoy, les voiant, acheva de souiller ce qui estoit nect et abessa ses habillemens, pour se couvrir, obliant l'ordure où elle estoit pour [à cause de] la honte qu'elle avoit de veoir les hommes. Et, quant elle fut hors de ce villain lieu, la fallut despouiller toute nue et changer de tous habillemens, avant qu'elle partist du couvent. Elle se fut voluntiers corroucée du secours que luy amena La Mothe; mais, entendant que la pauvre fille cuydoit qu'elle eust beaucoup pis, changea sa collerre à rire comme les autres.

Les Cordeliers sur le cadastre de 1825.
Quelques vestiges du couvent des Cordeliers visibles aujourd'hui rue Bernard Palissy, dans le prolongement de la rue du grenier à sel.

1 commentaires :

Anonyme a dit…

Gaulois et frondeur : du pur Thouarsais!
Balthazar

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