Sur la pelouse de la résidence Molière, assise dans un fauteuil de
camping en plastique blanc, Clotilde raconte qu'elle avait sept ans
quand elle entendit l'histoire du Toaro pour la première fois. C'est son
grand-père qui la racontait à la veillée en faisant craquer des noix
dans ses mains pour effrayer les enfants. "Et crois-moi, je n'ai jamais
mis les pieds dans le Thouet à cet endroit-là. Oh non, on préférait
aller se baigner à Pommiers, c'était plus sûr, dit-elle en riant avant
de poursuivre : je ne suis rien superstitieuse mais quand le tonnerre
gronde, je pense aussitôt au dragon qu'est dans la rivière".
Cette légende, la voici :
Cette légende, la voici :
Une pierre si résistante
A une époque reculée et si incertaine que les calendriers ne se risqueraient pas à lui attribuer une date précise, la région alors paisible fut plongée dans une torpeur étouffante, de grands nuages s'amoncelèrent au-dessus du Gâtinais, on guettait un orage à venir. Tandis que le ciel furieux tournoyait et enrageait, la foudre soudain ébranla la terre et déchira la sol. Cette brèche encore fumante vit jaillir un monstre d'eau et de pierre mêlées qu'on appelait Toaro. Sitôt libéré, le Toaro commença à se répandre dans la campagne, traçant partout où il passait une rivière à laquelle il donna son nom et qu'on appelle aujourd'hui le Thouet. Partout les paysans fuyaient en entendant le grondement terrifiant qui annonçait le passage imminent du torrent prodigieux.

Sainte Radegonde, priez pour nous
Quand vint l'ère chrétienne, on barda la ville d’églises et de chapelles pour mieux parer aux attaques d'un dragon devenu par le biais des prêches la créature du Diable lui-même. On s'attacha aussi le secours de saints protecteurs. Au sud, Saint Jean ; à l'ouest, Saint Jacques, et encore et surtout Sainte Radegonde. Radegonde, future sainte, montrait déjà quelques dispositions à lutter contre les dragons comme elle le confirmerait plus tard quand elle viendrait à bout de la Grand'Goule de Poitiers en lui jetant à la gueule des petits pains bénis tout secs appelés "casse-museaux".
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La Grand'Goule (Photo Wikipedia) |
Pour autant, le dragon était toujours vivant, et puisqu'on ne pouvait le tuer, on se résolut à s'en prendre à la rivière elle-même. Ainsi on construisit des barrages et des jetées robustes pour domestiquer le Thouet et enfermer en ces murs le Toaro. La rivière s'apaisa et devint telle qu'on la connaît aujourd'hui. On crût le dragon à jamais endormi dans la vase, on se trompait. Quand il se réveilla, la menace ne vint pas de la rivière mais du sol.
Et la terre se mit à trembler

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extrait du registre paroissial de Saint Laon. Sce : sisfrance.net |
Le Toaro était réveillé. Il fut fort réjoui de la panique qu'il avait provoquée et s'imagina qu'il pouvait peut-être ainsi fissurer et abattre le grand château bâti sur ce rocher arrogant. Il fallut au dragon plus d'un demi-siècle pour rassembler toutes les forces nécessaires à l'exploit qu'il projetait d'accomplir. C'était en 1711 et Guillaume Boulliaud alors prêtre officiant en l'église Saint Médard consigna les événements suivants :
"Le mardy sixième jour du mois d'octobre, sur les huit heures du soir, il se fit un fort grand tremblement de terre qui fut suivi, un quart d'heure après, d'un seond, qui effrayèrent tout le monde. Plusieurs endroits en souffrirent [...] plusieurs édifices tombèrent et plusieurs maisons s'écroulèrent. Tout le reste de la nuit fut tellement agitté qu'on entendoit de toutes parts que vents, tonnerres et tremblements de terre, lesquels tremblements ont duré près de six semaines. On s'en est encore aperçu d'un furieux ce matin à quatre heures. Depuis le dit jour, sixième dudit mois d'octobre dernier, les pluies ont esté continuelles et les vents impétueux, mais particulièrement le jour d'hier depuis deux heures du matin jusqu'à quatre heures du soir : notre église en a beaucoup souffert".
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extrait du registre paroissial de Saint Médard. Sce : sisfrance.net |
La ville avait toutefois tenu bon. Le Toaro épuisé par l'effort qu'il avait dû produire se laissa couler au fond de la rivière pour s'y reposer.
Une mémoire enfouie

Du côté des Ursulines et quelques verres de Duhomard aidant, un pêcheur avouera avoir tout de même une hésitation quand, en place du gardon attendu, sa ligne accroche un grand silure. Un autre sera plus radical : "Quand ça vient trop lourd, moi je coupe. On ne sait jamais, je ne vais pas tenter le diable non plus".
Le lundi 11 juin 2012, la municipalité installa en toute insouciance une réplique miniature de dragon autour de la Vasque. On l'affubla d'un rembourrage de feuilles mortes tout à fait inoffensif, ignorait-on alors le nouvel affront qu'on infligeait au Toaro en se moquant ainsi de lui ? Ce jour-là, dans la soirée, Thouars connut un violent orage. Le tonnerre avait les mêmes intonations que ceux qui avaient causé tant de malheurs par le passé. Des trombes d'eau s'abattirent, faisant des rues des torrents qui filaient vers la rivière en contrebas - Dieu sait ce qu'ils pouvaient charrier! Derrière leurs fenêtres, quelques anciens, sages parmi les sages, frémissaient devant un tel déchainement et le terrible présage qu'il annonçait ; le Toaro était réveillé et il tentait d'attirer à lui son avatar de la Vasque. Ensemble ils pourraient déclencher de nouveaux cataclysmes et enfin abattre ce caillou qui résiste à tout. Le lendemain, on constata heureusement que rien n'avait bougé, la pluie avait cessé, la rivière s'en était à peine énervée, les rues s'égouttaient doucement, le soleil reparaissait, et le petit dragon était sagement resté autour de sa modeste bassine d'eau. Tout allait pour le mieux dans la ville insouciante qui ne s'aperçut pas du drame qu'elle avait évité... temporairement. Car comme le rappelle la sagesse populaire que malheureusement nous n'écoutons plus, méfions-nous de l'eau qui dort.
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Qui sait quel danger cachent ces eaux limpides qui serpentent au pied de la ville ? |
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